par Sophie Lahayville ©   [ English Version ]

Il est difficile d’écrire sur le Tai Chi Chuan car sa connaissance ne peut se transmettre que de personne à personne. Si vous demandez à un potier de vous expliquer comment créer un vase sans vous-même mettre vos mains dans la terre à ses côtés, vous aurez beau avoir réuni toutes ses explications les plus sincères et les plus détaillées, vous ne saurez toujours pas comment élaborer l’objet de vos rêves, si simple soit-il. Car la part indicible, sans doute la plus précieuse, se révèle dans le vivant de la transmission et de la pratique personnelle.
La beauté de la transmission orale, commune à tous les arts, réside dans sa profondeur et son mystère. Elle s’adresse au ressenti de celui ou celle qui apprend, à sa compréhension intérieure dont le corps, par les sensations qu’il offre, est le vecteur. Déjà cela nous apprend que le corps est un trésor pour la conscience. Cela nous amène aussi à envisager l’importance de la pratique personnelle car c’est grâce à elle que l’on intègre les connaissances et que se développe sa propre compréhension.

Le Tai Chi Chuan est originellement un art martial chinois, dit « d’énergie interne », élaboré par plusieurs générations et transmis de père en fils selon une tradition orale, avant de commencer à se populariser en Chine dans les années 30, puis en Occident. Par opposition à l’énergie externe qui est basée sur l’énergie musculaire, l’énergie interne est l’énergie vitale de l’être, le chi.
La pratique du TCC en accroît le potentiel et en stimule le flux à travers le corps. Il permet de développer le calme, l’équilibre, l’enracinement et la mobilité, la conscience corporelle et la relaxation.
L’art du TCC est fondé sur le principe taoïste du plein et du vide. Le Tao, prononcé Dao, couramment traduit par « la Voie », est représenté par le symbole du Yin-Yang. Selon la philosophie chinoise, il est l’origine de la réalité.
Ce symbole nous dit que le Yin, énergie féminine, et le Yang, énergie masculine, sont distincts, opposés et complémentaires en même temps qu’ils comportent chacun le germe de l’autre. Ils ont une relation dynamique. La vision taoiste ne sépare pas l’être humain de l’univers; ils ont la même nature .
Dans le Tai Chi, comme dans le macrocosme, le mouvement naît de l'alternance du Yin et du Yang. Passant continuellement le poids du corps d’une jambe à l’autre, chacune des deux jambes devient tour à tour pleine (lorsqu’elle porte le poids du corps) et vide (lorsque le poids est de l’autre côté).
Dans un de ses poèmes réunis dans le Tao De Jing, Lao Zi parle de la forme du vase qui crée le vide et peut alors se remplir. On dit souvent “transférer le poids du corps d’une jambe à l’autre”, on pourrait aussi parler de “transvaser”.
Le vide, donc, est destiné à se remplir et le plein à se vider. Si le plein ne se vide pas et si le vide ne se remplit pas, le mouvement meurt.
Le mouvement est changement, transformation, continuité.

Une des premières sensations que l’on éprouve est une sensation de chaleur, signe que la circulation du sang, porteuse de l’énergie vitale, a été stimulée.

Avant de se propager dans les membres, chaque mouvement provient de la rotation de la taille, qui génère cette stimulation bénéfique pour la santé .
Les textes classiques nous disent que l’énergie part des pieds (l’appui) pour passer à travers le tronc et s’exprimer dans les membres. Ils nous disent aussi que la taille est le centre de la roue (moyeu) et que les membres en sont les rayons. Ainsi chaque posture est circulaire.
Le TCC se pratique en silence. Il est dans son essence unificateur car il s’adresse à la personne dans sa totalité. Il exerce la présence, reliant corps et esprit à travers des mouvements continus qui suivent l’harmonie naturelle du corps humain. Tout au long de l’exercice, les relaxations physique et mentale se nourrissent mutuellement.

S’initier au Tai Chi Chuan c’est d’abord mémoriser physiquement les mouvements - en même temps que leurs principes -, de ce qu’on appelle « la forme lente ». Si quelques explications sont nécessaires, c’est surtout par l’imitation et la répétition que la personne s’approprie les mouvements pour y trouver son aisance en même temps que leur exactitude et en disposer dans sa vie.
Cette phase de mémorisation se fait progressivement comme l’apprentissage d’un langage, d’un solfège, et permet dès le début d’exercer sa concentration et la présence à soi-même, en relâchant les tensions par ce que l’on ressent à travers son propre corps. C’est donc par le truchement de l’attention que se développent le mouvement conscient et la relaxation.
La relaxation advient lorsque les zones de tensions « se défont » grâce à la prise de conscience et à la concentration, et que le chi peut alors circuler librement à travers les canaux invisibles, les méridiens. La pratique nous renseigne assez vite sur le fait que lorsque les articulations sont ouvertes les muscles sont relâchés ; et c’est alors que surviennent les sensations énergétiques. C’est ce qui permet d’aller vers la fluidité. « Lorsqu’une partie du corps bouge toutes les autres parties du corps bougent » ; autrement dit le corps entier, dans sa globalité, est toujours en mouvement.
Ainsi va-t-on de l’extérieur vers l’intérieur de plus en plus profondément. De même que la connaissance approfondie de la forme nous guide vers le fond.

« Dérouler l’énergie comme on dévide un cocon de soie » . Avez-vous déjà vu dérouler un cocon de soie ? Cela suppose de la délicatesse, de l’attention et de la sensibilité tactile pour ne pas rompre le fil. Nous voici bien loin de la volonté et de la raideur. Cette image parle de la qualité de continuité des mouvements - que l’on ne voit ni commencer ni finir, la fin de l’un engendrant le début de l’autre - qui favorise le calme intérieur.

Que l’on soit débutant ou avancé, une pratique juste se caractérise par un sentiment de bien-être, de confiance et de joie.
Si l’étude du TCC est une école de patience, elle est également porteuse d’une ouverture d’esprit.

Toutes les indications que l’on peut recevoir aident à trouver une juste synchronisation des mouvements; vient alors une sensation de plus en plus profonde d’évidence et de simplicité. Le corps se délie ; on entre dans le plaisir de sa logique et de son intelligenceon. On se sent relié.
Cela suppose d’apprendre auprès d’un professeur réellement instruit. Cela suppose aussi de développer sa pratique personnelle, qui agit par elle-même et amène ses propres réponses.
J’ai entendu maintes fois Maître Tung Kai Ying dire à la fin de ses cours, avec le sourire rayonnant qui le caractérise, « pratiquez, pratiquez, pratiquez » ; et parfois il dit aussi « ne pensez pas trop, n’en parlez pas trop, pratiquez ».

Le TCC traditionnel Yang comporte de nombreux exercices riches en subtilités. Après l’apprentissage de la forme lente, viennent une grande variété d’exercices à deux, les applications martiales, et aussi l’enchaînement rapide, le sabre, l’épée, les bâtons, la lance. Ces exercices permettent de travailler plusieurs formes d’énergie, (lente, brève, rapide ou explosive…). Ils sont complémentaires. On les aborde au fil du temps. Bien entendu, is sont eux aussi basés sur le ressenti, le plein et le vide, le cercle, la transformation du mouvement et donc « l’écoute ». S’ils permettent d’apprendre d’autres techniques et procurent des sensations variées, tous ces execices sont fondés sur les principes que l’on cultive par la pratique de la forme lente, pratique que l’on n'abandonne jamais.

Pour mes élèves, et tous ceux qui s'intéressent au Tai Chi, en témoignage de ma gratitude pour Maître Tung et son enseignement généreux.

© Sophie Lahayville
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